9 août 2021

Mieux protéger la mégafaune marine grâce aux réseaux sociaux et à l’intelligence artificielle

Deux outils numériques au service de la biodiversité

Des scientifiques de trois unités mixtes de recherche (MARBEC, ENTROPIE et LIRMM) viennent de publier une étude exploitant les dernières avancées technologiques pour recenser des espèces charismatiques de la mégafaune marine de Nouvelle-Calédonie : dugongs, tortues et requins. Ces travaux, intitulés « Exploiter les réseaux sociaux et l’apprentissage profond pour détecter la mégafaune rare à partir de suivis vidéo » sont publiés dans la revue internationale Conservation Biology. Ils sont en partie issus du projet de recherche Pelagic financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) au sein de son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab). Ils s’appuient sur la collecte de vidéos aériennes financée par les Explorations de Monaco.

Dugong_Marsa_Alam©Julien-Willem.-Wikimedia-commons.jpeg
Dugong, Dugong Dugon ou vache marine © Julien Willem. Wikimedia commons

L’essor de l’intelligence artificielle

Depuis plusieurs années, l’apprentissage profond ou deep learning se développe dans de multiples domaines. Cette forme d’intelligence artificielle appliquée à la reconnaissance de formes est devenue un outil essentiel pour le suivi à distance automatisé des populations animales à l’aide de photographies, de vidéos ou même de sons.

La performance et la précision des algorithmes de reconnaissance d’espèces sont dépendantes de leur capacité d’apprentissage, c’est-à-dire du nombre et de la variété des images avec lesquelles les chercheurs sont capables de les alimenter. Pour les espèces rares et menacées, des programmes de suivis aériens par vidéo s’avèrent très utiles au recensement sur terre, comme c’est le cas pour les éléphants, et sont depuis peu étendus au domaine marin et à sa mégafaune de surface, essentiellement des mammifères.

Ci-dessous, un groupe de dugongs repérés lors d’une reconnaissance aérienne. 

Photos et vidéos alimentent la base de données. 

La problématique du milieu marin

Comment utiliser le deep learning pour les espèces rares des milieux marins telles que le dugong, ou furtives comme les requins, pour lesquelles peu d’images sont disponibles ? En Nouvelle-Calédonie, les recherches se concentrent actuellement sur le dugong, les requins et les tortues marines, car ils font l’objet de plans d’action et de sauvegarde spécifiques, à l’interface entre les enjeux politiques, sociétaux, économiques ou environnementaux.

L’acquisition de très grandes quantités d’images destinées à rendre plus performants des algorithmes de reconnaissance automatisée est donc un défi majeur pour ces espèces, dont les suivis aériens restent à ce jour limités et ne fournissent qu’un nombre restreint d’observations.

Dugong photographié lors d'une reconnaissance aérienne © Marbec.
Hydravion utilisé pour les vols de reconnaissance aérienne de la mégafaune marine en Nouvelle-Calédonie © David Mouillot. Marbec
Système d'enregistrement photo et vidéo utilisé pendant les suivis aériens de la mégafaune marine en Nouvelle-Calédonie, fixé sous l'hydravion © David Mouillot. Marbec.
Photo aérienne de tortue marine, signalée par la flèche rouge. Nouvelle-Calédonie© Marbec
Photo aérienne d'une raie manta, signalée par la flèche rouge. Nouvelle-Calédonie © Marbec
Photo aérienne d'un requin, signalé par la flèche rouge. Nouvelle-Calédonie© Marbec
Diapositive précédente
Diapositive suivante

Embarquez pour un vol de reconnaissance !

Compilation d’images de survols aériens sur les côtes néo-calédoniennes montrant quelques espèces de la mégafaune. Ces images sont tournées à bord d’hydravions. Bon vol !

L'apport des réseaux sociaux

L’originalité de la démarche présentée dans cette étude est de démontrer le potentiel des vidéos disponibles sur les réseaux sociaux, en complément des suivis vidéos aériens, pour optimiser et entraîner les modèles de deep learning à détecter la mégafaune marine. 

Les espèces rares ou menacées de la mégafaune marine suscitent en effet une activité abondante du grand public sur les réseaux sociaux. Cette production spontanée d’images et de vidéos est favorisée par le développement conjoint de l’écotourisme, des appareils numériques peu coûteux comme les caméras GoPro ou les drones et de l’Internet haut débit.

Dugong, Dugong Dugon en pleine eau © N.Barraque. Monaco Explorations

Une base de données sans précédent

Dans cette étude appliquée au dugong de Nouvelle-Calédonie, l’exploitation de ces ressources a permis de constituer une base de données sans précédent. En effet, plus d’un millier d’images en provenance de six régions du monde couvrant l’aire de répartition du dugong ont pu être récoltées sur la toile. Ces images issues des réseaux sociaux ont une valeur limitée pour le suivi in situ, faute d’informations de géolocalisation précises, mais leur intérêt majeur est de contribuer à la constitution d’une base de données enrichie et solide pour l’optimisation des modèles d’apprentissage profond et la détection automatisée des dugongs.

Une nouvelle méthode performante et un espoir pour la conservation

Cette méthode a permis de traiter les suivis aériens de dugongs rapidement et avec précision. En effet, 80% des individus présents sur les images sont détectés automatiquement avec succès. Elle offre un nouveau moyen performant pour compter et cartographier les dugongs ainsi que d’autres espèces marines charismatiques dans le but de mieux les protéger. En combinant technologies numériques et données massives issues des réseaux sociaux, elle s’inscrit dans le cadre plus large de l’iEcologie : l’étude des processus écologiques à l’aide de données en ligne générées à d’autres fins et stockées numériquement. Cette étude ouvre de nouvelles perspectives pour le suivi à large échelle spatiale des vastes écosystèmes marins.

Sélection de vues aériennes de dugongs © Marbec
Sélection de vues aériennes de dugongs. Nouvelle-Calédonie © Marbec

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