Voir l’île invisible, ou comment le banc de Saya de Malha joue à cache cache avec le S.A. Agulhas II et l’équipage de la mission océan Indien. Les impressions et le ressenti de Didier Théron, Responsable médiation des Explorations de Monaco, sur ces journées consacrées à l’exploration d’un milieu méconnu et mystérieux par les équipes de scientifiques à bord.
Voir l’île invisible...
Au moment où nous avons quitté Port Victoria aux Seychelles et appareillé pour Saya de Malha, je me suis demandé si l’île invisible allait se révéler à nos yeux inquisiteurs, livrer ses secrets les plus intimes ? Une citation d’Antoine de St-Exupéry m’est alors revenue en mémoire comme une ritournelle.
On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir assisté tout au long de ces journées à une partie de cache-cache permanente entre le navire et ces vastes plaines sous-marines faites d’herbiers sans fin et de massifs coralliens épars, de bancs de sable erratiques emplis de mystère, véritables invites à aller explorer toujours plus loin, plus profondément… Saya de Malha joue au chat et à la souris
Chacun ici mesure le privilège de participer à une aventure unique, où l’on se sent transporté dans une autre dimension, un peu hors du temps. Un temps figé par le déroulement des opérations scientifiques et les gestes journaliers répétitifs, un temps qui passe pourtant à la vitesse de l’éclair. Les jours défilent, le compte à rebours annonçant la fin de la mission est déjà enclenché.
Mentalement, j’essaye de visualiser l’île invisible, de lui donner une forme précise à partir des indices récoltés çà et là. Mais si l’on parle d’île, pour l’instant je n’en vois réellement qu’une, omniprésente : notre navire, refuge glissant à la surface de cette immensité bleutée lovée autour de lui. D’aucuns pourraient penser que ce bleu entêtant, à la fois mouvant et statique, nous retient prisonniers de l’Océan. Il suffit pourtant d’un regard posé sur l’horizon, d’un moment passé à Monkey Island, tout là-haut dans les nuages et le vent au sommet de la passerelle, pour s’évader au loin, prendre la mer, libérer l’esprit et les pensées des contraintes quotidiennes et planer tel un grand albatros au ras de l’eau.
La frontière symbolique de la surface est franchie plusieurs fois par jour par les plongeurs, le ROV ou les dragues, envoyés en éclaireurs par le navire à la découverte de Saya de Malha. Nos chercheurs explorateurs apprivoisent peu à peu l’île invisible. Fragments de vérité, les échantillons remontés à bord sont précieux et choyés, triés et classés, conditionnés, témoins fugaces d’une biodiversité cachée pleine de promesses. L’or de Saya de Malha ne se ramasse pas à la pelle.
Pour voir l’île invisible, il faut y mettre du cœur, de la passion et beaucoup de travail. Bref, aller au charbon. Du cœur à l’ouvrage, les équipes présentes à bord du S.A. Agulhas II en ont à revendre. Pour récolter l’or de la connaissance, c’est le prix à payer, celui de l’abnégation et de la persévérance, du doute, des longues nuits d’opérations et de conditionnement d’échantillons, du manque de sommeil, également celui des recherches en laboratoires et des résultats qui suivront la mission de terrain.
Quand il s’adresse au Petit Prince dans le conte, le renard a mille fois raison ; on ne voit bien qu’avec le cœur.
Didier THERON
Responsable médiation des Explorations de Monaco.