Frédéric Ménard, chercheur à l’IRD et spécialiste des écosystèmes marins, fait un premier constat sur les opérations menées à Saya de Malha. La situation géographique particulière du Banc, tout comme ses caractéristiques propres, en font un chantier d’étude passionnant pour les scientifiques. Saya de Malha suite l’intérêt et les questionnements.
Saya de Malha : le point de vue d'un écologue.
Saya de Malha, un nom exotique peu connu du grand public, est une zone de haut fond du plateau des Mascareignes, un plateau océanique situé à l’est de Madagascar dans le sud-ouest de l’océan Indien.
Saya de Malha est l’un des principaux bancs de ce vaste plateau qui s’étend en arche sur 2000 km entre les Seychelles au nord et La Réunion au sud. Ces îles et ces hauts fonds, malgré les distances qui les séparent, partagent une histoire géologique commune et fascinante. Toutes et tous ont été formés par le point chaud de La Réunion et ont subi l’expansion des plaques océaniques, les périodes d’élévation et de baisse du niveau de la mer, l’érosion, au cours de millions d’années.
Les fonds de Saya de Malha sont encore mal cartographiés. Sur la base des quelques expéditions qui s’y sont déroulées et de données satellite, l’architecture topographique globale du banc se répartit entre des rebords récifaux submergés peu profonds (autour de 50 m) sur les parties orientale et septentrionale du banc, une zone centrale intérieure faite d’une mosaïque de paysages marins à des profondeurs inférieures à 150 m, et un plateau sud. Tout autour, on atteint très vite des profondeurs de plus de 3000 m. Saya de Malha est cerné par l’océan profond.
La géomorphologie et la localisation géographique de Saya de Malha en font un banc soumis à des conditions océanographiques complexes qui façonnent les écosystèmes qui s’y développent. Dans cette zone sud de l’océan Indien tropical, un puissant courant épais orienté vers l’ouest, le courant sud-équatorial, vient buter sur Saya de Malha qui s’élève brusquement de l’océan profond.
Toutes ces singularités font de Saya de Malha un chantier passionnant pour nous les écologues. Comment le courant sud-équatorial, particulièrement intense en surface, impacte-il les conditions océanographiques de Saya de Malha ? Le banc renferme-t-il une faune foisonnante et préservée ? Ou au contraire, des écosystèmes perturbés par le changement climatique ? Dégradés par des pêcheries peu scrupuleuses ? Comment se portent les emblématiques herbiers de Saya de Malha ? Ces étendues à faible profondeur couvertes de plantes à fleurs marines, comme nos herbiers de Posidonie en Méditerranée. Quels sont les liens entre les organismes fixés sur le fond et la faune vivant dans la colonne d’eau ? Et les requins ? Et les mammifères marins ? Et les oiseaux marins ?
Quel bilan peut-on déjà tirer des prospections tous azimuts que nous avons réalisées ? Au premier abord, Saya de Malha ne remplit pas nos espérances. Peu de grands poissons, très peu de requins, d’oiseaux marins. La macrofaune n’est pas au rendez-vous. Et pourtant, les herbiers sont en bonne santé, les poissons certes de petite taille sont présents sur les zones coralliennes, la mosaïque d’habitats abrite une faune fixée peu abondante mais diversifiée et tellement fascinante comme par exemple pour les éponges, nos filets à plancton récoltent une diversité intéressante d’organismes vivant dans la colonne d’eau, et les images rapportées par le petit robot sous-marin que nous avons déployé sur les ruptures de pente témoignent de la présence de poissons, requins, coraux, gorgones, crinoïdes (appelés « lys de mer ») …. Des zones refuge pour la macrofaune que nous n’observons guère sur le plateau ?
Du travail en perspective pour comprendre les liens entre les conditions environnementales singulières de Saya de Malha et la répartition de la faune et de la flore. Beaucoup de questions à résoudre qui fascinent notre petite communauté de scientifiques mauriciens, seychellois et français embarqués sur le S.A. Agulhas II. Et la conviction que les connaissances acquises ici et ensemble permettront de mieux préserver le site de Saya de Malha.
Frédéric Ménard est chercheur à l’IRD, l’Institut de Recherche français pour le développement. Il a été directeur du département OCEANS, climat et ressources de l’IRD de 2015 à 2020. Il occupe maintenant la fonction de Conseiller scientifique Outre-mer et participe à la stratégie scientifique de l’IRD.